Dans les plastiques des biberons, les emballages alimentaires…, les perturbateurs endocriniens sont partout. Même l’eau du robinet ! En effet, les stations d’épuration classiques ne sont pas conçues pour supprimer ces substances à l’état de nanoparticules et la présence de résidus dans les ressources en eau n’est pas systématiquement contrôlée. Ainsi, ces polluants capables de mimer les effets des hormones, bloquer leurs effets ou limiter leur production, contaminent les nappes phréatiques, les sols mais aussi notre organisme. Pire, notre organisme les stocke ! “Le tissu adipeux pourrait être un réservoir de perturbateurs endocriniens”, révèle le Pr Nicolas Chevalier, responsable du service d’Endocrinologie-Diabétologie et Reproduction du CHU de Nice qui étudie la toxicité des perturbateurs endocriniens.
En effet, la littérature scientifique démontre que les polluants organiques persistants (POPs), des substances difficilement dégradées et qui ont une longue durée de vie comme certains pesticides ou les retardateurs de flamme, ont une affinité particulière pour les graisses. Ces substances s’attachent aux lipides et s’accumulent dans le tissu adipeux. Ces polluants sont ainsi retrouvés dans les graisses animales (bœuf ou poissons gras notamment) et contaminent toute la chaîne alimentaire jusqu’à l’Homme. En raison de ce phénomène de bioaccumulation, notre organisme stocke ces molécules à des taux non négligeables, même si elles sont présentes à de faibles doses dans l’environnement ou l’alimentation. Ce phénomène explique également pourquoi des traces de pesticides interdits depuis plus de 30 ans sont encore retrouvées dans l’organisme de l’être humain.
On pourrait imaginer que cette accumulation dans les graisses joue un rôle protecteur pour les organes et le système hormonal en empêchant les polluants de circuler dans l’ensemble de notre organisme. En réalité, ces POPs ne restent pas piégés éternellement. Car le tissu adipeux n’est pas inerte : il peut les relarguer dans la circulation sanguine, comme il relargue des hormones. La libération de ces substances pourrait, notamment, avoir lieu lors d’une perte de poids importante. Des études réalisées chez des patients obèses révèlent une augmentation de leur concentration dans le sang au cours de l’amaigrissement [1]. Conséquence : l’organisme humain pourrait être imprégné tout au long de la vie par ces POPs.
Lorsqu’elles sont libérées dans le sang, ces substances circulent librement dans les organes et peuvent bouleverser le fonctionnement du système hormonal. Une perturbation qui peut favoriser l’apparition de troubles métaboliques, tels que le diabète ou l’obésité. Une toxicité surtout démontrée chez le rongeur, mais les résultats chez l’Homme convergent. Des travaux de recherche réalisés auprès d’infirmières américaines [2] ont en effet montré un lien entre le diabète de type 2 et la présence dans le sang de polychlorobiphényles (PCBs), des agents chimiques utilisés dans les peintures ou en tant que lubrifiants dans les turbines. Des molécules dérivées du dichlorodiphényltrichloroéthane (plus communément appelé DDT), un insecticide classé cancérogène interdit dans les années 1970, ou encore les dioxines seraient également associées à un risque accru d’obésité et de diabète. Néanmoins, association ne signifie pas lien de causalité. “Le rôle des perturbateurs endocriniens dans l’émergence de ces maladies est très difficile à mettre en évidence car elles sont multifactorielles. Reste que la génétique, la malbouffe ou la sédentarité ne permettent pas d’expliquer l’épidémie de diabète et d’obésité que nous constatons partout dans le monde”, soulève le Pr Nicolas Chevalier.
Le lien entre POPs et cancer commence également à être étudié. Une équipe française de l’Inserm et de l’Université de Paris vient ainsi de publier une étude portant sur 91 femmes atteintes d’un cancer du sein [3]. Les chercheurs ont relevé que la concentration de dioxine et de deux autres PCBs dans le tissu adipeux mammaire était positivement corrélée à la taille de la tumeur ainsi qu’au niveau d’invasion et au stade métastatique des ganglions lymphatiques. Les femmes avec de plus grandes concentrations de PCBs présentaient un risque plus élevé de récidives. Enfin, chez les femmes en surpoids, on observait une association entre la présence de métastases et la concentration en dioxine. Si ces résultats préliminaires ne permettent pas de tirer des conclusions fermes sur le lien entre POPs et agressivité du cancer du sein, elle propose en revanche une piste inédite, en particulier chez les patientes en surpoids.
Références :
[1] Kim MJ, et al. Fate and complex pathogenic effects of dioxins and polychlorinated biphenyls in obese subjects before and after drastic weight loss Environ Health Perspect 2011;119(3):377-83
[2] Zong G, et al. Persistent organic pollutants and risk of type 2 diabetes: A prospective investigation among middle-aged women in Nurses’ Health Study II. Environ Int. 2018;114:334-42
[3] Koual M, et al. Associations between persistent organic pollutants and risk of breast cancer metastasis. Environ Int. 2019;132:105028